Habitants de Koufa ! Obeidoullah,
fils de Ziyad, votre Gouverneur, a ordonné l'arrestation de Mouslim le fils
d'Aqil, l'envoyé d'al-Hussein fils d'Ali, qui a refusé de jurer obéissance au
Calife. Quiconque aidera Mouslim fils d'Aqil, d'une façon ou d'une autre, sera
considéré comme rebelle envers le Calife.
Il sera pendu et écartelé, toute sa
famille exécutée, et tous ses biens confisqués. Que ceux qui ont aidé Mouslim
dans le passé, et qui se repentent fournissent à la police des indices
permettant de découvrir la cachette du rebelle. Ils bénéficieront de la clémence
du Gouverneur Obeidoullah !
Le crieur public s'éloigna, pour aller délivrer son message en un autre endroit
de la ville. L'Azane appelant à la Prière du Maghreb avait succédé à la
proclamation. Mouslim se mit debout, et leva les bras pour le Takbir d'entrée
dans la Prière. Quand il eut achevé celle-ci, il se retourna. La Mosquée était
vide. Un homme, un seul, Hani fils d'Orwah qui hébergeait Mouslim, avait prié
derrière lui. Tous les autres s'étaient éclipsés, l'un après l'autre... Les deux
hommes échangèrent quelques mots. Hani sortit de la Mosquée pour conduire en
lieu sûr les deux jeunes fils de Mouslim, avant de tenter de quitter Koufa pour
alerter au plus vite l'Imam al-Hussein. Mais à peine avait-il rejoint sa maison
que celle-ci fut encerclée par les hommes d'Obeidoullah. Hani se défendit avec
courage, mais très vite il succomba sous le nombre. Il fut enchaîné, et traîné
au palais du Gouverneur. Dès que la nouvelle de son arrestation fut connue, les
guerriers de la tribu des Mazij, dont Hani était le chef, entourèrent le palais,
exigeant sa libération. Obeidoullah dut ruser et il leur promit qu'il serait
bien traité et qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter pour lui.
Pendant ce temps Mouslim avait quitté la Mosquée. IL errait au hasard dans les
ruelles de Koufa, ne sachant où se cacher pour passer la nuit. Il s'arrêta près
d'une maison, et s'assit pour se reposer un peu. La porte de la maison s'ouvrit.
Une vieille dame apparut : Que veux-tu, étranger ? Que cherches-tu par ici à
cette heure tardive ?
- J'ai soif ! Peux-tu m'offrir un peu d'eau ?
La vieille dame rentra dans la maison, puis ressortit avec un bol plein d'eau
qu'elle tendit à Mouslim. Celui-ci remercia, but, et resta assis.
- Pourquoi ne te lèves-tu pas ? Pourquoi ne t'en vas-tu pas ? Qui es-tu ?
- Je ne sais pas où aller. Je suis étranger... Je viens de la ville de l'Envoyé
de Dieu. Je suis ici depuis quelques semaines, à l'invitation des habitants de
Koufa. Ils étaient plusieurs milliers à m'acclamer quand je suis arrivé.
Aujourd'hui, pas un seul n'accepterait que je pénètre dans sa maison...
- Tu es Mouslim ! Tu es celui que la police recherche ! Entre vite dans ma
maison !
- Que Dieu te bénisse, ma mère !
Mais je ne peux accepter ton offre, tu courrais un danger trop grand.
- Entre, te dis je ! Tu es l'envoyé d'al-Hussein ! Tu es le cousin et l'homme de
confiance de mon Imam! Comment pourrais je affronter Fatima la Resplendissante,
le Jour du Jugement, quand elle me dira : "Tawah, l'envoyé de mon Hussein est
venu vers toi, pourchassé par la police de Yazid, sans ami, sans défenseur, et
tu l'as repoussé..." Entre te cacher chez moi, mon enfant !
Mouslim entra. IL se cacha dans un coin de la maison. Comme s'il pressentait que
cette nuit était sa dernière nuit, il décida de veiller en Prière.
Quand le fils de Tawah rentra à la maison, la vieille dame ne sut pas lui cacher
qu'elle avait offert asile à l'homme que toutes les polices du Calife
recherchaient. Endormant la méfiance de sa mère par un mensonge, le traître
trouva un prétexte pour sortir en pleine nuit. Il se précipita au palais
d'Obeidoullah. Quand il retourna chez lui, soixante dix hommes armés jusqu'aux
dents l'accompagnaient. Mouslim entendit le pas des chevaux. Il comprit ce qui
se passait. Il se leva d'un bond, l'épée à la main, et se précipita vers la
porte. Tawah aussi avait entendu, et elle avait compris que son fils les avait
trahis. Elle supplia Mouslim de ne pas douter d'elle, et il l'assura qu'il était
convaincu de sa sincérité.
Mouslim bondit dans la ruelle. IL se retrouva face à face avec les hommes de
main d'Obeidoullah. Pendant plusieurs heures il se battit contre ceux qui
venaient l'arrêter. Ceux-ci, impuissants à le vaincre blessèrent en lui lançant
de loin des flèches, des pierres, des objets enflammés. Puis ils l'obligèrent à
se replier vers un endroit où ils avaient creusé un piège dans le sol. Ils
purent ainsi s'emparer de lui.
Mouslim fut conduit au palais du Gouverneur. Obeidoullah ordonna qu'on lui
tranche la tête. Puis le corps du premier Martyr du Soulèvement de l'Imam
al-Hussein fut jeté du haut des murailles du palais.
Hani fut conduit au marché aux moutons de Koufa, pour y être lui aussi décapité.
Il appela les membres de sa tribu :
A moi les Mazij ! Je suis Hani fils d'Orwah, votre chef ! N'y a-t-il donc aucun
Mazij pour venir me défendre aujourd'hui ?
Mais le climat de terreur qu'Obeidoullah faisait régner depuis quelques jours
commençait à produire ses effets. La rumeur courait aussi que l'armée de Damas
était presqu'aux portes de la ville. Cent mille hommes appelés en renfort… Pas
un seul Mazij ne vint au secours de son chef. La tête de Hani aussi fut
tranchée.
Les corps des deux Martyrs furent traînés derrière des chevaux dans les rues de
Koufa, pour effrayer davantage la population. Leurs têtes furent envoyées à
Damas, en cadeau, à Yazid, le Calife omayyade.