Un tout jeune homme, presque un enfant, se dressa devant l'Imam al-Hussein :
- Mon oncle, je viens demander ton autorisation d'aller au combat !
C'était Qasim, le fils de son frère l'Imam al-Hassan.
L'Imam al-Hussein se releva,
et essuya les larmes qui mouillaient ses yeux, et murmura :
- Certes c'est à Dieu que nous appartenons, et c'est à Lui que nous devons
retourner !
La nuit précédente, alors qu'Aoun et Mohammad, les deux fils de Zaynab, et Qasim,
le fils de l'Imam al-Hassan, discutaient de la façon dont ils pourraient
s'y prendre pour obtenir de leur oncle l'Imam al-Hussein l'autorisation de
combattre l'ennemi, Omm Farva, la mère de Qasim, avait appelé son fils sous sa
tente, Omm Farva avait pris son fils dans ses bras et lui avait dit :
- Qasim mon fils ! Sais-tu pourquoi je t'ai appelé ? Je veux te rappeler tes
devoirs envers ton oncle al-Hussein. Je veux te dire quelque chose de l'amour
unique que ton père portait à son frère al-Hussein. Ils étaient si proches l'un
de l'autre que toujours ils pensaient et agissaient de concert. La moindre peine
ressentie par l'un faisait souffrir l'autre à l'instant même ! Ils étaient plus
proches, plus unis que deux jumeaux. Si Hassan était encore de ce monde,
j'imagine sans peine ce qu'il ressentirait aujourd'hui. Nul doute qu'il serait
le premier à se lever et à sacrifier sa vie pour défendre son frère al-Hussein.
Omm Farva avait repris, après une pause :
- Quand ton père est mort, tu étais trop jeune pour comprendre la vie. Ses
dernières paroles, sur son lit de mort furent les suivantes :
"
Omm Farva, je te
confie, ainsi que mes enfants, à la garde de Dieu et de mon frère al-Hussein.
Quand Qasim sera grand, tu lui diras que ma dernière volonté est qu'il se tienne
près d'al-Hussein contre vents et marées. Je vois venir un jour ou mon frère
sera assailli de toutes parts et trahi par tous. Ce jour-là il aura besoin du
soutien sans faille de ses proches. Je veux que tu prépares Qasim dès son
enfance pour qu'il soit prêt quand viendra ce jour !"
- Maman, je ne sais pas comment te remercier pour ce que tu viens de me dire.
Aussi loin que remontent mes souvenirs, je n'ai jamais su ce qu'est l'amour d'un
père. Mais je sais que si mon père avait vécu, il n'aurait pas pu me donner plus
de tendresse et d'affection que ne l'a fait mon oncle al-Hussein ! Jamais il ne
m'a laissé un instant me sentir orphelin ! Comment pourrais je oublier tout ce
que je lui dois ? Comment pourrais je être à ce point ingrat envers lui ? Quel
goût aurait pour moi la vie sans lui, et sans mon oncle Abbas, et sans Ali
Akbar, et Aoun et Mohammad ?
L'Imam al-Hussein regarda avec tendresse le jeune homme qui se tenait devant lui.
IL secoua la tête avec tristesse :
Qasim, mon enfant chéri ! Comment pourrais-je te permettre de partir, quand je
sais que la mort est au bout de la route ? Ton frère, mon cher Hassan, t'a
confié à ma garde ; mon cœur tremble à la pensée de t'envoyer au supplice !
La réponse de l'Imam al-Hussein brisa le cœur de Qasim. Il resta immobile, tête
baissée, ne sachant que dire, que faire, pour arracher à son oncle
l'autorisation tant souhaitée.
A ce moment arriva Zaynab. Elle s'adressa à
l'Imam al-Hussein :
- al-Hussein, mon frère, de toute ma vie je ne t'ai jamais rien demandé.
Aujourd'hui, pour la première et la dernière fois, j'ai une faveur à solliciter.
Permets à mes deux fils de marcher sur les pas d'Ali Akbar ! L'Imam al-Hussein
regarda sa sœur, puis Aoun et Mohammad.
- Je ne trouve aucun argument, Zaynab, pour refuser de t'accorder ce que tu
demandes. Pourtant mon cœur chavire en moi d'envoyer à la mort ces deux enfants
! Vous deux, mes chers enfants, allez ! Satisfaites votre désir de mourir en
héros ! Je ne serai pas long à vous rejoindre...
A cette réponse, les deux jeunes héros furent transfigurés de bonheur. Ils
demandèrent à leur mère de leur donner sa bénédiction. Des larmes plein les
yeux, Zaynab les embrassa:
- Mes enfants, mes chéris ! Que Dieu soit avec vous jusqu'à la fin ! Qu'IL rende
votre mort douce ! C'est mon destin de subir outrages et ignominie seule, sans
frères, ni fils, ni neveux pour me consoler !
- Maman, avec l'aide de Dieu, nous montrerons à Omar fils de Saad et à toute son
armée que nous sommes les dignes petits-fils de Jaafar Tayyar ! Si Dieu le
permet nous nous battrons avec tant de courage que ta peine sera transformée en
fierté !
Les deux vaillants neveux de l'Imam al-Hussein sautèrent en selle et disparurent
bientôt aux regards angoissés des leurs. Un nuage de poussière masquait la
fureur du combat qu'ils livrèrent aux ennemis de l'Islam.
Bientôt on entendit le cri d'adieu d'Aoun. L'Imam al-Hussein pâlit, comme si
lui-même avait été frappé. Il regarda sa sœur Zaynab.
Abbas et Qasim s'étaient précipités pour la soutenir. Alors à son tour Mohammad, mortellement
touché, salua son oncle et Imam, L'Imam al-Hussein se précipita vers eux. IL
ordonna à Abbas et à Qasim de rester près de Zaynab.
C'est Mohammad qu'il atteignit en premier. Le garçon perdait beaucoup de sang et
respirait avec difficulté. Une profonde blessure à la gorge rendait sa voix
presque inaudible.
L'Imam al-Hussein se pencha à le toucher, et l'entendit
murmurer : Reçois mes dernières salutations mon oncle. Dis à ma mère que j'ai
fait ce qu'elle attendait de moi, et que je meurs avec courage comme elle-même
et mon père me l'ont commandé. Transmets-lui mes salutations, et console-la
autant que tu le pourras.
Mohammad ferma les yeux un instant, puis reprit dans un souffle :
- Avant de tomber moi-même, j'ai entendu le cri d'Aoun. Je n'ai plus besoin
d'aide maintenant. Va trouver Aoun, mon oncle, avant qu'il ne soit trop tard !
A peine avait-il prononcé ces mots que ce qui restait en lui de vie s'échappa.
L'Imam al-Hussein chercha dans ta direction d'ou était venu l'appel d'Aoun. Quand
il trouva son corps, le dernier souffle en était déjà parti. Il souleva dans ses
bras et serra contre sa poitrine le garçon sans vie.
Portant le corps d'Aoun dans ses bras, l'Imam al-Hussein marcha jusqu'au
campement.
Abbas courut à sa rencontre :
- Laisse-moi transporter Aoun jusqu'à sa dernière demeure, pendant que tu
retourneras chercher Mohammad. Je suis encore vivant, mon Maître.
Laisse-moi partager ton fardeau et ta peine !
L'Imam al-Hussein tendit le corps exsangue à Abbas, et alla chercher son autre
neveu.
Quand Zaynab vit les deux corps sans vie, elle s'effondra sur eux en
pleurant :
- Mes enfants chéris ! Quelle mère pourrait envoyer ses fils à la mort comme je
l'ai fait aujourd'hui ?
O mes chéris vous avez quitté ce monde en souffrant de la soif. Mais votre
grand-père Ali va maintenant étancher votre soif avec l'eau des sources du
Paradis.
Comme c'était l'usage dans l'armée de Yazid, les tambours retentirent pour
saluer la mort des deux jeunes garçons, ou plutôt leur misère. Puis ils
cessèrent, remplacés par tes cris sauvages de la horde ivre de haine, assoiffée
de carnage. réclamant du sang encore, du sang toujours !