Jusqu'à présent nous avons établi que la longue vie est scientifiquement
possible. Mais supposons maintenant qu'elle ne le soit pas (sur le plan
scien-tifique) et que la loi de la vieillesse et de la caducité se veuille
rigoureuse, que l'humanité ne puisse la modifier ni en changer les conditions et
les circonstances, ni aujourd'hui, ni à long terme. Dans ce cas, que signifie la
longue vie d'al-Mahdî?
Elle signifie que la longue vie d'un homme - Noé ou Al-Mahdî - étendue sur
plusieurs siècles est un défi aux lois naturelles dont la démonstration est
faite par la science et les moyens modernes de l'expérience et de l'induction.
Il s'en suit que ce phénomène est considéré comme un miracle rendant caduque une
loi naturelle dans un cas particulier, afin de permettre de préserver la vie
d'une personne chargée de sauvegarder le message divin, et que ce miracle n'est
ni unique en son genre, ni étranger à la doctrine musulmane émanant du texte
coranique ou de la Sunna. Car en fait, la loi de la vieillesse et de la sénilité
n'est pas plus rigide que la loi de la transmission de la chaleur d'un corps
plus chaud à un autre moins chaud jusqu'à ce que leur température soit égale,
loi qui fut mise en veilleuse pour protéger la vie d'Abraham à un moment où ce
moyen était le seul adéquat pour y parvenir.
Ainsi, lorsqu'Abraham fut jeté au feu: « Nous dîmes: "Ô feu, sois sur
Abraham, froidure et sécurité" »; et il en est sorti indemne. Beaucoup d'autres
lois naturelles ont été suspendues pour protéger la vie des prophètes et des
apôtres de Dieu sur la terre. C'était le cas lorsque Dieu a fendu la mer pour
Moïse, ou lorsqu'il a fait croire aux Romains qu'ils avaient arrêté Jésus alors
qu'ils ne l'avaient pas fait, ou lorsqu'il a sorti le Prophète Muhammad de sa
maison à l'insu de ses ennemis Quraichites qui cernaient cette maison et le
guettaient avec vigilance, en attendant le moment propice pour l'attaquer.
Tous ces exemples traduisent la suspension des lois naturelles en vue de
protéger quelqu'un dont la Providence veut préserver la vie.
Que la loi de la vieillesse soit rangée parmi ces lois
De tout ce qui précède, nous pourrions déduire un concept ou une règle générale
en vertu de laquelle chaque fois que la sauvegarde de la vie d'un Envoyé de Dieu
sur la terre dépend de la suspension d'une loi naturelle, et que le maintien de
la vie de cet individu est nécessaire à la réalisation d'une mission qui lui est
confiée, la Providence intervient pour suspendre cette loi afin de permettre
l'accomplissement de cette mission.
Et inversement, lorsque la mission d'un individu - à laquelle Dieu l'a
prédestiné - est terminée, celui-ci passe de vie à trépas et meurt naturellement
ou en martyr, selon les lois de la nature. A propos de cette règle générale, la
question suivante pourrait se poser: comment une loi peut-elle être suspendue et
comment la relation nécessaire qui s'établit entre les phénomènes naturels
peut-elle être coupée? Une telle supposition ne contredit-elle pas la science
qui a découvert ladite loi naturelle et déterminé ladite relation nécessaire,
sur une base expérimentale et inductive?
La réponse à ces interrogations est fournie par la science elle-même qui a
renoncé à l'idée de la nécessité dans la loi naturelle. Expliquons-nous
là-dessus: la science découvre les lois naturelles sur la base de l'expérience
et de l'observation régulière. Lorsque l'avènement d'un phénomène est toujours
suivi d'un autre phénomène, on déduit de cette succession régulière une loi
naturelle stipulant que chaque fois qu'un phénomène apparaît, un autre doit le
suivre. Mais la science ne suppose pas l'existence, dans cette loi, d'une
relation nécessaire entre les deux phénomènes et inhérente à l'un et à l'autre;
car la nécessité est un état métaphysique que ne peuvent déceler ni l'expérience
ni les moyens d'investigations inductives et scientifiques. Aussi, la logique
scien-tifique moderne affirme-t-elle que la loi naturelle - en question - telle
qu'elle est définie par la science, ne stipule pas l'existence d'une relation
nécessaire, mais seulement d'une concomitance constante entre deux phénomènes.
C'est pourquoi si un miracle se produit qui sépare les deux phénomènes d'une loi
naturelle, il ne s'agit pas là d'une rupture d'une relation nécessaire entre les
deux phénomènes.
En réalité, le miracle dans son acception religieuse est devenu plus
compréhensible à la lumière de la logique scientifique moderne que selon le
point de vue classique des relations causales. Car ledit point de vue classique
supposait que chaque fois que la conco-mitance entre deux phénomènes est
constante il y a forcément une relation de nécessité entre eux. Or la nécessité
signifie ici l'impossibilité de séparer les deux phénomènes l'un de l'autre.
Mais cette relation s'est transformée, dans la logique scientifique moderne, en
loi de concomitance ou de succession constante entre les deux phénomènes, qui ne
suppose pas l'existence de la nécessité métaphysique.
De cette façon, le miracle devient un cas excep-tionnel à cette constance dans
la concomitance ou la succession, sans se heurter à une nécessité ni conduire à
une impossibilité.
Mais à la lumière des fondements logiques de l'induction, nous sommes d'accord
avec le point de vue scientifique moderne, suivant lequel l'induction ne
démontre pas une relation de nécessité entre les deux phénomènes; toutefois nous
estimons qu'elle indique l'existence d'une explication commune à la constance de
la concomitance ou de la succession continuelle entre les deux phénomènes. Cette
explication commune peut être formulée aussi bien sur la base de la supposition
d'une nécessité intrinsèque que sur celle d'une sagesse ayant conduit le
Régulateur de l'univers à relier continuellement certains phénomènes à d'autres,
et qui nécessite parfois l'exception; auquel cas le miracle se produit.