«Nous
l’avons certes, fait descendre durant la nuit d’Al-Qadr
Et qui te dira ce qu’est la nuit d’Al-Qadr ?
La nuit d’Al-Qadr est meilleure que mille mois
Les anges et l’Esprit descendent cette nuit sur permission de leur
Seigneur,[chargés] de tout ordre.
Elle est paix et salut jusqu’à l’apparition de l’aube ! »
(Coran, sourate al-Qadr)
Dans la Révélation coranique, la sourate Al-Qadr proclame la grandeur d’«une
Nuit meilleure que mille mois». Une Nuit durant laquelle les Anges déferlent sur
la terre pour répandre, jusqu’au levé de l’aurore, la miséricorde divine.
Il s’agit d’une Nuit qui jouit d’une importance considérable dans la conscience
des fidèles musulmans.
Une importance qui vient du fait qu’elle vaut, au près de Dieu (’inda Allâh),
plus de mille mois et parce qu’elle correspond aussi à la Nuit de la descente (inzâl)
du Coran du « ciel le plus haut où se trouve son original (lawh mahfûdh), au
ciel le plus bas (samâ’ dunyâ) pour être progressivement révélé […] au Prophète
de Dieu ».
Cette révélation graduelle s’effectua durant vingt-trois années, par
l’intermédiaire de l’Esprit fidèle, l’Archange Gabriel.
Laylat al-Qadr est donc une nuit fondatrice pour la mission prophétique de
Muhammad (P). Une mission prophétique qui allait marquer de son empreinte
l’Histoire (spirituelle, civilisationnelle, etc.) de l’humanité.
Cette dimension historique et grandiose de laylat al-Qadr se trouve signalée par
d’autres versets coraniques, comme par exemple :
« Nous l’avons fait descendre en une nuit bénie. Nous sommes, en vérité, Celui
qui averti » (Coran XLIV, 3)
« Le mois du ramadan au cours duquel le Coran a été descendu comme guide pour
les gens, et preuves claires de la bonne direction et du discernement » (Coran
II, 185).
Il est donc recommandé aux fidèles de "l’accueillir" par une intensification des
actes cultuels : des prières surérogatoires (nawâfil), des invocations de Dieu (adhkâr),
des œuvres charitables (sadaqât); selon un auteur : « Agir en cette nuit vaut mieux que l’agir de
mille mois. »
Laylat al-Qadr va au-delà même, du rituel qui voit les Anges descendre puis
remonter. Le rituel de cette Nuit n’est pleinement bénéfique que s’il laisse une
empreinte sur nos lendemains.
En effet, cette Nuit doit être pour chaque croyant le commencement d’une
"nouvelle histoire". Plus concrètement, de même que laylat al-Qadr a été cette
Nuit où commença la migration de la Parole divine (le Coran) vers l’humanité, «
l’Eternité qui migre dans le temps » , dans le but d’une régénération
spirituelle, de même elle doit poser les fondations d’un lendemain nouveau pour
le croyant en l’extirpant de l’hébétude du quotidien, et en renouvelant son lien
intime avec Dieu.
Ceci revient à dire que si la nuit d’al-Qadr n’enfantait pas cet homme nouveau,
si elle ne posait pas les fondations d’une vie nouvelle, alors à quoi bon vivre
une Nuit grandiose, merveilleuse, une « Nuit mieux que mille mois », pour
continuer à vivre ses lendemains comme si de rien n’était, rester égal à
soi-même, ne pas avoir d’aspirations supérieures ? Vivre laylat al-Qadr et
s’endormir dans les jours futurs de sa vie. A quoi bon ?
Si le croyant vivait les lendemains de cette Nuit comme ceux des nuits passées,
alors il n’aurait pas saisi toute sa portée, toute son éminence ; les nuits
passent mais la noirceur, l’obscurité et la terreur nocturne persistent toujours.
Une Nuit à laquelle doit succéder des matins de questionnements : pour voir ses
« carences », ses démissions, ses insuffisances, pour retrouver la vérité de la
voie choisie (l’islam), pour redevenir ou rester cet adorateur conscient de Dieu,
pour penser son histoire (les « mille et une preuves »). Cette Nuit est ainsi
centrale et cela parce que, comme évoqué ci-dessus, elle fut fondatrice pour le
Message islamique, et par conséquent elle est, ou plus exactement elle devrait
être primordiale et édifiante dans la vie du musulman.
Les sociétés musulmanes étaient en manque évident de cette créativité,
assoiffées qu’elles étaient par des « carences » endogènes qu’il fallait
combattre.
Laylat al-Qadr permet justement, de mener cette lutte pour sortir de la
somnolence culturelle et spirituelle, pour soulager cette soif de créativité,
pour donner sens à la descente des Anges : « Cette nuit où il pleut sur le
désert sec et brûlé, dans le cœur de chaque graine, sur le corps d’un buisson
desséché ou d’un arbre brûlé et dans l’âme assoiffée d’une prairie, chaque
goutte de pluie est un ange qui descend pour annoncer des pousses et la
fraîcheur d’un jardin fleuri. Quelle vile ignorance d’être dans cette nuit de
Qadr et sous cette pluie sans sentir le contact des gouttes sur le corps à même
la peau, sur le front, sur les lèvres et les yeux et de rester, de vivre et de
mourir sec et poussiéreux ! »
On revient ici à cette question de savoir à quoi servirait de célébrer la Nuit
d’al-Qadr et de "mourir" le lendemain dans la stagnation, dans l’inconscience ?
D’être, ou de devenir, un mort chez les vivants ? Si tels étaient les lendemains
de laylat al-Qadr, alors on invite le croyant à relire la sourate, à la lire
sans oublier que la tournure mélodieuse et délicieuse des sourates ne doit pas
cacher à l’esprit la spiritualité exigeante et consciente vers laquelle elles
tendent constamment. Et c’est en effet le cas de la sourate qui nous occupe ici,
puisque cette dernière est lourde de sens spirituel et de conscience
eschatologique. Cette dimension essentielle des sourates coraniques est affirmée
par le Coran lui-même :
« Nous allons te révéler des paroles lourdes» (Coran LXXIII,
5)
Ainsi, laylat al-Qadr est cette Nuit qui doit permettre au croyant de renouveler
sa détermination sur la voie de Dieu, de se transfigurer en s’abreuvant à cette
pluie purifiante que représentent les Anges et de se laisser arraisonner par eux.
Nous pouvons voir ainsi l’aspiration (l’appétit) qui devrait être, celle de ceux
qui vivent cette Nuit grandiose.
Il faut savoir qu'il existe "un au-delà" de laylat al-Qadr, qui se situe aux
confins de sa dimension rituelle, et qui devrait illuminer les "matins futurs"
du croyant.
Par conséquent, laylat al-Qadr ne serait plus réduit ou à réduire à l’effort
intense, intime et méritoire d’une Nuit, mais devrait s’étendre, aussi, à
l’action et à la tension des jours à-venir.
Elle apparaît donc comme la Nuit de la rupture décisoire avec l’insouciance, la
futilité. Une Nuit durant laquelle il faut déchirer ses affiliations à la
torpeur spirituelle, pour s’engager entièrement dans cette « mission » confiée
par Gabriel. C’est en cela qu’elle est Nuit du renouveau (renouvellement du lien
intime avec Dieu) et de la renaissance. Nuit de la Paix – et du Mystère. Une
Paix qui conscientise, responsabilise et dévoile le chemin du rapprochement (nécessaire
et exigeant) avec Dieu (al-Salâm).
Salut à cette nuit, nuit de Qadr, nuit plus précieuse que mille mois, mille
ans et mille siècles
Salut... jusqu’à ce que le soleil déchire
soudain le cœur de ce pays pierreux, jusqu’à ce que la rose rouge de l’aurore
s’ouvre sur les lèvres glacées de l’horizon, jusqu’à ce que la rivière du soleil
coule sur la sombre terre ainsi que dans notre conscience corrompue, à cette
nuit, salut jusqu’au matin.