La nuit se passa en Prière. Les compagnons de l'Imam al-Hussein se faisaient les
uns aux autres leurs dernières recommandations. L'Imam réunit tous ceux qui
l'accompagnaient. Il leur dit que ses ennemis n'en voulaient qu'à lui seul, et
il leur proposa de profiter de l'obscurité pour s'enfuir. Il éteignit même les
lampes afin que quiconque voudrait partir puisse le faire sans être vu de ses
compagnons.
Aucun n'accepta d'abandonner son Imam ! Tous voulaient mourir avec lui, et être
avec lui au Paradis.
Au milieu de la nuit, l'un des commandants de l'armée de Yazid, Horr, celui-là
même qui avait forcé l'Imam al-Hussein à changer de route et à se diriger vers
Karbala, s'approcha du camp. Son fils et son esclave (qu'il aimait autant que
son fils) l'accompagnaient. Lors de leur première rencontre, au milieu du
désert, l'Imam Houssein avait offert à Hour et à ses soldats assoiffés l'eau
dont il disposait. Ils avait même donné à boire à leurs chevaux épuisés. Et
depuis trois jours maintenant que le campement de l'Imam était privé d'eau, les
femmes et surtout les enfants souffraient terriblement de la soif.
Et le lendemain, à l'aube, l'assaut allait être donné, le petit-fils du Prophète
et ses compagnons massacrés... Hour ne se pardonnait pas son rôle dans cette
affaire. Le repentir avait envahi son âme, et il ne songeait plus qu'à ce qu'il
aurait à répondre à la terrible question que ne manquerait pas de lui poser son
Créateur le Jour du Jugement. IL lui fallait choisir clairement entre l'Enfer et
le Paradis. Peut-être était-il encore temps d'obtenir le Pardon... IL n'y avait
pas à hésiter. Quand il fut en présence de l'Imam Houssein. Hour tomba à genoux.
Sa voix était entrecoupée de sanglots:
- Fils du Prophète, pardonne-moi ! Je ne pensais pas que mon action aurait de
telles conséquences. Permets-moi de me racheter en défendant ta vie, et que mon
fils que voici défende la vie de tes fils!
L'Imam al-Hussein releva Horr et, le serrant dans ses bras, l'embrassa:
- Horr, mon ami ! Je n'ai pas le moindre blâme à t'adresser. Ton courage et ton
désintérêt pour les choses de ce bas-monde ont ajouté à ta valeur morale. Tu es
mon invité ! Pardonne-moi de ne pouvoir rien t'offrir, ni à manger, ni à boire !
La veillée de Prière se poursuivit. Les compagnons de l'Imam Houssein
entouraient celui-ci, et tous s'attachaient à se rappeler leur Créateur. Ils se
promirent les uns aux autres que, tant qu'ils seraient en vie, ils feraient tout
leur possible pour qu'aucun mal ne soit fait au petit-fils du Saint Prophète.
L'aube arriva. Ali Akbar, l'un des fils de l'Imam Houssein, récita l'Azane. Une
volée de flèches, tirées par l'armée de Yazid, lui répondit. Les compagnons de
l'Imam se séparèrent en deux groupes. Pendant que les uns priaient derrière lui,
les autres se tenaient debout, serrés l'un contre l'autre faisant à ceux qui
priaient un rempart de leurs corps, tant et si bien qu'aucune flèche n'atteignit
ceux-ci.
Les héros qui formaient ce bouclier vivant recevaient dans leur chair, sans
défaillir, sans une plainte, cette pluie de flèches acérées... Quand tous eurent
fini d'accomplir la Prière de l'Aube, vingt-trois des soixante-dix-sept
compagnons de l'Imam Houssein étaient grièvement blessés !
Le soleil se leva. Les tambours de guerre de l'armée omayyade commencèrent à
retentir. En même temps, près de cinq mille soldats assoiffés de sang crièrent à
l'Imam Houssein d'envoyer au combat ses hommes... ses soixante-dix-sept
courageux compagnons !
Le Jour d'Achoura commençait...