L’homme possède un corps physique, un corps, grâce auquel il peut se mouvoir et
se déplacer. De même, il est doté d’un cœur grâce auquel le sang va irriguer
tous ses organes et leur apporter la vie grâce au réseau des veines et des
artères, des capillaires…
C’est grâce à ce système que l’homme est à même d’exercer ses cinq sens, voir,
toucher, entendre, sentir et goûter, ainsi que penser, agir et accomplir toutes
ses fonctions naturelles.
L’homme est également doté d’un système invisible, non matériel ou physique,
dont le bon fonctionnement lui est aussi indispensable que son corps. Bien
qu’échappant à la mesure matérielle et à la perception sensible, cette fonction
est le principe même du corps. Si ce système marche de façon optimale,
l’intelligence s’exerce à merveille, sinon l’homme est comme un mort vivant. Il
s’agit de l’esprit, la deuxième dimension définitoire de l’homme, la partie
imperceptible aux sens, mais bien repérable dans les actes.
Si le corps se maintient et se développe par une alimentation régulière et
variée, l’esprit se développe par une autre variété de « nourritures » qui sont
immatérielles, de la même nature que lui-même. L’esprit habite le corps et lui
sert de guide. Sa nourriture première est celle que lui offre l’éducation
familiale au sein de la famille de ses parents. Il ira ensuite à l’école,
fréquentera des amis auprès de qui il complètera son apprentissage du sens de la
vie sur terre, fera son entrée dans la vie sociale. Il fréquentera des maîtres
et par la suite, il étudiera et apprendra ensuite à penser seul, à exercer son
esprit à la compréhension des abstractions et de la haute pensée. Il développera
sa connaissance de Dieu et des autres questions spirituelles, par les prières,
la lutte contre les passions, le détachement du monde dans la mesure du
possible. C’est ainsi que l’esprit renoue avec son origine supérieure. Il se
consolidera, évacuera les doutes et forgera sa personnalité, car c’est toujours
de l’esprit dont nous parlons quand nous évoquons la personnalité d’un être
humain. Tous nos jugements, toutes nos paroles et nos pensées naissent dans
l’esprit. Quand nous communiquons avec nos semblables ou que nous adressons nos
prières à Dieu, c’est de notre esprit que nous puisons les significations que la
langue va extérioriser et rendre perceptibles aux autres humains présents.
L’esprit se manifeste aussi extérieurement par nos mouvements, nos gestes, la
rougeur de nos visages quand nous éprouvons de la honte, ou la pâleur quand nous
sommes terrifiés, la voix qui change de ton sous la colère et le corps qui
tremble quand nous devons prendre une décision grave…
Notre personnalité, l’idée que se représentent les autres à notre sujet provient
de cette forme extérieure qu’ils perçoivent de nous. Cette personnalité est
susceptible de varier, de s’améliorer, de se renforcer au point de susciter
l’admiration, l’enthousiasme, la vénération même chez les autres. On loue les
gens quand ils font preuve de sang froid…
Comment s’explique ce fait ? D’où vient le fait que l’esprit est susceptible de
se renforcer, de s’améliorer ? D’où viennent les idées ? Ce sont des questions
que les grands savants et penseurs se sont posées et auxquelles ils ont apporté
des réponses plus ou moins satisfaisantes.
La personnalité présente deux aspects : un aspect « technique » qui consiste
dans l’intelligence mesurable par des tests, le Q.I
(1) ou les tests de Rorschach
(2) ou
d’autres moyens imaginés par la psychologie moderne. Le second aspect qui n’est
pas moins important est celui de l’éducation, de la personnalité proprement dite.
En d’autres mots, on peut être un génie dans les sciences exactes et se
comporter comme une brute envers ses congénères.
Cette situation se produit parce que l’homme n’est pas une machine, un robot.
C’est un esprit dans un corps. Le corps est un moyen très efficace pour l’esprit
quand il lui obéit. Il est une source de déséquilibre quand il est dominé par
lui.
Comme l’esprit est dans le corps, qu’il en est l’âme, - ce qui l’anime -, il
fait sans cesse face à des alternatives, des choix. En d’autres termes, le
chemin ne lui est pas tracé une bonne fois pour toutes : il doit sans cesse le
retrouver, tiraillé par les passions, trompé par ses sens.
Les grands hommes, prophètes, saints et penseurs ont établi cela et ont exprimé
des règles de conduite pour parvenir à la perfection dans ce domaine, au bonheur
relatif. Leur exemple ne peut pas être imité à la façon dont les acteurs jouent
leur rôle dans une pièce de théâtre. Ce serait trop simple. Chacun doit trouver
seul, expérimenter, juger et décider seul de suivre telle ou telle voie.
L’exemple des autres est donné là uniquement comme terme de comparaison, comme
repère parfois. Savoir que tel et tel homme sont passés par telle étape est en
effet encourageant.
Lorsque l’homme parvient à des étapes supérieures, il devient capable de
contempler les réalités telles qu’elles sont, sans le voile des illusions. Il
atteint la connaissance certaine, accède à la foi inébranlable. Une célèbre
tradition enseigne que le serviteur de Dieu, en se rapprochant de Lui par les
œuvres pieuses, atteint un statut où sa main devient Celle de Dieu, son oreille
Celle de Dieu, son regard Celui de Dieu… (3)
C’est une station qui résulte de l’imitation de Dieu, c'est-à-dire de
l’obéissance à Ses Lois. Il obtient alors un statut particulier que décrit ainsi
cette parole de l’Envoyé de Dieu
(Que la Paix de Dieu soit sur eux) « Craignez la perspicacité
(4) du croyant !
Car le croyant regarde avec la lumière de Dieu
(5) ».
Le croyant obtient cette station, ce pouvoir, en récompense de ses efforts pour
se libérer des passions, de la colère, de la jalousie, de l’avarice et autres
nombreuses maladies de l’âme. Il s’est corrigé pour se placer sous l’éducation
de Dieu et des prophètes. Il a eu une grande ambition spirituelle : rendre à
l’esprit toute sa noblesse innée que lui dispute le corps. Les passions
n’interfèrent plus dans son savoir. Il voit les choses comme Dieu veut qu’il les
voie.
Si son cœur s’arrête de battre, son corps meurt évidemment aussitôt et commence
à pourrir, à cause de la fonction cardinale qu’il joue dans le maintien de la
vie.
L’homme possède un autre cœur subtil, spirituel, qui est le siège des sentiments
et de la connaissance et qui joue le rôle de garant de l’esprit : lorsqu’une
idée traverse l’esprit, elle peut être considérée comme bonne ou neutre, si le
cœur y réagit sans douleur ni dégoût. Autrement, le cœur physique manifeste sa
désapprobation par un changement de son rythme ou une « douleur ». En français,
on dit d’une parole qui déplait : elle fait mal au cœur ou ta parole me blesse
ou me fend le cœur !
Si le cœur est pur, il jouera toujours cette fonction de rappel, de mise en
garde. Mais si l’homme ne prête plus attention aux signaux de son cœur et qu’il
en devient sourd, le cœur finit par cesser de lancer l’alerte, en vertu du
principe que c’est la fonction qui crée l’organe. L’homme s’égare alors de plus
en plus jusqu’à oublier son origine céleste, son Dieu et ses semblables.
Même si en apparence son corps continue de vivre et qu’il accomplit ses
fonctions naturelles. C’est la raison pour laquelle la tradition veut que
lorsqu’on veut entreprendre quelque chose, on consulte son cœur.
C’est pourquoi le Coran, décrivant les hommes semblables, dit :
« …Des morts, non des vivants, et n’ayant pas conscience de quand ils seront
ressuscités ! » (sourate Les Abeilles ; 16 :21)
Un homme qui n’a pas le respect des autres, qui ne sait pas en quoi réside la
grandeur des enfants d’Adam est comparable à un être mort, car il ne participe
pas à asseoir cette grandeur, à lui assurer la pérennité.
Il y a aussi le verset suivant : « …Sourds, muets, aveugles, incapables sont-ils
de raisonner… » (sourate La vache ; 2 : 171)
Cela signifie que ces êtres ont déchu de leur rang d’hommes et ont perdu leur
fonction de lieutenant de Dieu sur terre pour laquelle ils ont été créés. C’est
en vertu de ce statut que les hommes ont reçu la terre en héritage, pour y
réaliser la volonté de Dieu. Or ils ont été souillés par leurs péchés, leurs
passions, qui les font ressembler plus à des bêtes ou pire encore. Ils ont des
yeux, mais ils ne s’en servent pas pour voir les réalités, des oreilles mais ils
n’écoutent pas, ils ont une langue mais ils ne font que grommeler, incapables de
parler des réalités divines.
Le Coran ne consiste pas seulement en des pages écrites et disposées entre deux
couvertures. Celui-là est le Coran écrit sous la forme d’un livre. La réalité du
Coran est spirituelle et consiste dans des significations supérieures.
Les personnes qui sont familières du Coran, bénéficient aussi bien de ses
significations formelles que de ses significations profondes, qu’ils perçoivent
du fond de leur âme.
Le Noble Coran dit :
« Bien plutôt (le message) consiste-t-il en signes probatoires dans les
poitrines de ceux dotés de connaissance. Seuls les iniques récusent Nos signes.
» (sourate L’araignée ; 29 : 49)
C’est en cela que consiste la réalité du Coran : être porté dans le cœur des
hommes et des femmes.
En conséquence de ces deux préliminaires, on peut en déduire que lorsque l’homme
aura obtenu le grade de croyant, que la foi aura fait vivre son âme, que la
vérité du Coran exprimera le sens et la vérité du Coran, que le croyant sera
devenu intime du Coran et qu’il aura ancré en son âme et en son esprit la
réalité du Coran qui s’y manifestera, l’âme du croyant deviendra semblable à un
Coran.
Son existence deviendra coranique. A ce sujet, il existe une tradition disant :
« Le croyant est plus sacré que le Coran et la Kaaba
(6) . » (al-mu’min a’zamu
hurmatan min al-Qor’ân wa al Kaaba).
Pourquoi ? Parce que le Coran est un livre écrit sur du papier et que la Kaaba
est un édifice qui a été construit avec de la pierre et de la glaise. Mais si la
réalité du Coran se manifestait dans l’âme d’un croyant, l’existence de ce
croyant gagnerait en intensité de vie par la vie que lui apporte le Coran et il
deviendrait lui-même un Coran. Et si un croyant atteignait le degré de la
connaissance de son Seigneur, son existence deviendrait un lieu de
circumambulation, c’est-à-dire qu’il deviendrait une Kaaba spirituelle.
Comme le disait le grand mystique et poète Shaykh Bahâ’î (7) :
Ce que j’entends par Kaaba et le temple de l’Idole, c’est encore Toi
Tu es le But, l’Être recherché, la Kaaba et l’idole ne sont que des prétextes
(Diwân-e Ash’âr, Mokhammas)
Un vers attribué à Hâfez dit :
« Je ne prie que lorsque Toi Tu es ma qibla
(8) car je ne connais pas d’autre
direction vers laquelle je me tournerais pour prier ... »
(9)
Il va de soi que la réalité de la Kaaba est supérieure à la Kaaba en pierre,
tout comme la réalité du Coran est supérieure au Coran en tant qu'écriture sur
du papier.
C’est pourquoi tant de traditions prophétiques et tant de grands maîtres de la
foi musulmane ont insisté sur la nécessité d’accomplir le pèlerinage en pensant
aux sens ésotériques des rites, car si la Kaaba est réellement le Temple de Dieu
(Bayt Allâh), sa signification est aussi symbolique. Dieu est partout et Il
entend tout.
Références : Motaharî, Mortada, Ma‘âd- Shenâsi (Eschatologie), volume 7, pp. 298-301.
(1) Le quotient intellectuel, résultat d’un test pour mesurer
l’intelligence.
(2) En 1921, le psychanalyste suisse Hermann Rorschach (1884-1922) a mis
au point un test qui porte son nom, comme outil clinique de l'évaluation
psychologique. Né d'un père professeur d'art, Rorschach se sert de l’ancienne
idée d’utiliser la libre interprétation de chaque individu face à des dessins
ambigus pour évaluer les traits de sa personnalité. Il propose à la personne
évaluée, dix planches ayant différentes couleurs et différentes sortes de taches
symétriques.
(3) Célèbre hadîth qodsi, tradition sacrée où c’est Dieu qui parle, ayant
par conséquent un statut d’authenticité supérieure, proche de celle du Coran.
Sources sunnites aussi bien que chiites.
(4) Par Perspicacité, nous avons traduit le mot arabe firâsa, qui possède
techniquement le sens de physiognomonie, l’art de connaître les hommes par les
traits du visage, l’apparence physique.
(5) Tradition célèbre, rapportée par toutes les écoles de l’islam. Voir
par exemple Al-Usûl min al-Kâfî d’al-Kulaynî, volume 1, p. 218.
(6) Voir par exemple, Al-Usûl min al-Kâfî, d’al-Kulaynî, volume 4, p. 568.
(7) De son nom complet, Bahâʾ ad-Dîn Mohammad ibn Hussein al-ʿÂmilî, plus
connu sous le nom de Shaykh-e Bahâ’î. Né en 1547 à Baalbek, mort en 1621 à
Ispahan. Célèbre polygraphe iranien d’origine libanaise.
(8) Direction de la ka'aba. Les musulmans de par le monde se tournent cinq
fois par jour vers La Mecque pour prier.
(9) Marâ cho qebleh To bâshi namâz bogzâram / vagarna man az namâz o ze
qebleh bizâram ...