L'amour peut se manifester sous deux formes: le désir ou le plaisir.
Les deux états expriment l'amour mais dans deux situations différentes. L'état
de désir atteint l'amoureux lorsqu'il se trouve éloigné de celui qu'il aime,
alors qu'il vit l'état de plaisir lorsqu'il côtoie son bien-aimé.
Les deux états s'alternent dans le cœur de l'adorateur vis-à-vis d'Allah suivant
ces deux formes de manifestation, car Allah se manifeste devant le serviteur
tantôt de loin tantôt de près.
Lorsqu'Il se manifeste de loin, l'adorateur
éprouve un état de désir, et lorsqu'Il se manifeste de près («où que vous soyez,
Il est avec vous» (35), «Nous sommes plus près de lui que la veine de son
cou» (36), «Quand Mes serviteurs t'interrogent à Mon sujet; Je suis tout près et
Je réponds à l'appel de celui qui M'appelle» (37)).
Méditons maintenant les propos suivants, très significatifs, de l'Imam al-Mahdi
dans Do'â' al-Iftitâh:
«Louanges à Allah dont le voile est inviolable et dont la porte ne se ferme
jamais» (38)
Il y a deux sortes de voile: le voile d'obscurité et le voile de lumière.
La vue
de l'homme pourrait ne pas fonctionner soit à cause de la densité du voile
d'obscurité soit sous l'effet de la haute tension de l'ardeur (brillance,
luminosité) de la lumière. Ainsi, l'homme ne pourrait pas voir le soleil, non à
cause d'une barrière quelconque, mais en raison de la vivacité de l'ardeur du
soleil qui forme ce que nous appelons le voile de lumière.
Dans la relation de l'homme avec Allah, le voile d'obscurité c'est l'amour de la
vie d'ici-bas et la tendance à commettre de mauvaises actions et des péchés,
alors que le voile de lumière y est tout autre chose: c'est le voile inviolable
ou infranchissable, selon l'expression du Maître du Temps, l'Imam al-Mahdi (que
Dieu hâte sa réapparition).
Et c'est précisément ce voile qui attise le désir et la soif d'Allah dans les
cœurs des serviteurs pieux, comme nous le décrit l'Imam Zayn al-'Âbidîn (Psl):
«(Ô Seigneur) ma soif ardente ne peut être apaisée que par Ton contact, ma
souffrance agitée ne se calme que par Ta rencontre, mon désir de Toi ne
s'assouvit qu'en regardant Ta Face, mon but ne sera fixé qu'en m'approchant de
Toi, mon affliction ne sera conjurée que par Ta Miséricorde, ma maladie ne sera
guérie que par Ta Médecine, mon chagrin ne sera enlevé que par Ta Proximité, ma
blessure ne sera cicatrisée que par Ton amnistie, la rouille de mon cœur ne sera
dérouillée que par Ton Pardon! ... Ô Sommet de l'espoir de ceux qui espèrent! Ô
Point de mire des solliciteurs! Ô Zénith de la demande des demandeurs! Ô Faîte
du désir des désireux! Ô Ami des serviteurs vertueux! Ô Sécurité de ceux qui ont
peur! Ô Exaucement de la prière des nécessiteux! Ô Réserve des dépossédés! Ô
Trésor des misérables!» (39)
Le pendant de cette manifestation divine (tajallî) est une autre sorte de
théophanie: la manifestation d'Allah devant Ses serviteurs sans qu'il y ait
entre Lui et eux une porte qui se ferme: Il écoute leurs monologues suppliants
(munâjât), et se trouve plus près d'eux que leur veine jugulaire; Il s'interpose
entre le serviteur et son cœur et rien de ce qui se passe dans les cœurs des
adorateurs ne Lui échappe. Et là, le serviteur presse la présence de son
Maître, craint de Lui désobéir ou de commettre ce qui pourrait Lui déplaire,
éprouve un plaisir de L'invoquer et se livre à Lui par des monologues suppliants
et Lui adresse des implorations et des prières et prolonge inlassablement sa
station devant son Bien-Aimé Créateur.
En effet, il est de notoriété publique que lorsqu'on se trouve en présence d'une
personne qu'on aime et affectionne, le temps passe vite et on n'éprouve aucune
lassitude ni ennui.
Que dire alors quand nous sentons Allah tout près de nous,
en train de nous écouter, nous voir, entendre nos prières et supplications:
«Où
que vous soyez, Il est avec vous. Dieu voit parfaitement ce que vous
faites!» (40) et que nos invocations nous apportent un apaisement et une quiétude
que nous ne pourrons retrouver dans n'importe quelle autre situation:
«N'est-ce
pas au rappel d'Allah que les cœurs se tranquillisent!?» (41)
L'Imam al-Mahdi (que Dieu hâte sa réapparition) dit dans son Do'â' al-Iftitâh:
«Aussi me suis-je mis à T'appeler en toute confiance, et à Te solliciter avec
gaieté, sans peur ni crainte, exigeant de Toi avec familiarité ce pour quoi
j'étais venu vers Toi» (42)
Sans doute, cet état de plaisir, de sécurité et de quiétude qu'éprouve
l'adorateur lorsqu'il se sent près d'Allah représente-t-il l'un des meilleurs
états du serviteur vis-à-vis de son Seigneur. Néanmoins, il ne constitue pas
l'idéal dans la relation de l'homme avec Allah. Il doit être associé à l'état de
désir pour qu'il soit complet, équilibré et harmonieux.
En effet, ces deux états prévalent dans l'adoration des serviteurs pieux et
proches d'Allah et dans leur relation avec Lui. Mais tantôt c'est l'état de
désir qui constitue le trait marquant de cette relation et cette adoration,
tantôt c'est l'état de plaisir doux, de quiétude et de sécurité, et tantôt tous
les deux; et c'est ce dernier état qui devrait prédominer notre relation avec
Allah, car il est plus harmonieux et plus équilibré.
Observons à cet égard l'Imam Zayn al-Âbidîn (Psl) à travers ces différentes
supplications qui nous en fournissent la meilleure illustration:
- Hammâd Ibn al-'Attâr al-Kûfî témoigne: «Alors que je voyageais avec une
caravane pour le pèlerinage, une tempête noire et ténébreuse s'est soulevée. La
caravane se disloqua et je m'égarai dans le désert et parvint enfin à une vallée
déserte. À la tombée de la nuit, je m'abritai sous un arbre. Lorsque l'obscurité
s'intensifia, je vis venir un jeune homme portant des vêtements blancs usés et
exhalant un parfum de musc. Je me dis alors que c'était sûrement un ami d'Allah,
et qu'il pourrait s'en aller s'il découvrait ma présence. Aussi restai-je
immobile et évitai-je de faire le moindre mouvement afin de ne pas le faire fuir
et de ne pas l'empêcher d'accomplir ce pour quoi il était venu. Le jeûne homme
s'approcha de l'endroit (où je me trouvai) et se prépara à la prière. Il s'éleva
soudain et se mit à implorer:
"Ô Toi qui as acquis toutes choses par Ta Royauté et vaincu toutes
choses par Ta Puissance! Fais entrer dans mon cœur la joie de Ton désir et
insère-moi dans le rang de Tes serviteurs obéissants".
»Après quoi il accomplit la prière. Puis lorsque l'obscurité se dissipa, il
bondit, se mit debout et supplia:
"Ô Toi vers Qui les solliciteurs se sont dirigés pour en trouver le
meilleur Guide, et près de Qui les gens terrifiés sont venus s'abriter pour en
découvrir le meilleur Pourvoyeur de faveurs et à Qui les adorateurs ont fait
appel pour en constater le meilleur donateur! Ô mon Dieu! Quand a-t-il connu le
repos celui qui a confié à quelqu'un d'autre que Toi son corps! Et quand a-t-il
connu la joie celui qui a destiné à quelqu'un d'autre que Toi son intention!..."» (43)
- Al-Açma'î relate: «Une nuit, alors que j'accomplissais le tour (tawâf) de la
Ka'bah je vis un jeune homme aux bonnes manières s'accrocher aux rideaux de la
Ka'bah en priant:
"Les yeux se sont endormis et les étoiles se sont hissées, alors que Toi, le
Vivant, le Subsistant, Ta porte reste ouverte aux solliciteurs pendant que les
rois ont fermé les leurs en les faisant surveiller par leurs gardes. Je suis
venu donc près de Toi pour que Tu me regardes avec Ta Miséricorde, ô Toi le plus
Miséricordieux des miséricordieux!".
»Puis il récita ces vers:
"Ô Toi qui exauces la prière du nécessiteux dans l'obscurité! Ô Toi qui conjures
le mal, les épreuves et les maladies!
Tes pèlerins se sont tous déjà endormis, et Toi, Tu es le seul à ne pas dormir,
ô Subsistant!
Je Te prie, ô Seigneur, comme Tu nous l'as demandé! Aie donc pitié de mes
pleurs, par l'amour de la Maison et du Sanctuaire!
Car, si un ignorant ne pouvait espérer Ton Pardon, qui accorderait alors les
bienfaits aux désobéissants!? "
»En le suivant j'ai su que c'était l'Imam Zayn al-Âbidîn» (44)
Tâwûs al-Faqîh rapporte: «J'ai vu l'Imâm al-Sajjâd faire le tawâf de la Ka'bah
et accomplir des actes d'adoration depuis la tombée de la nuit jusqu'à la fin de
la nuit. Lorsqu'il n'y vit plus personne, il regarda le ciel et dit:
"Par Ta Puissance et Ta Gloire! Je n'ai pas cherché à m'opposer à Toi lorsque
j'ai commis un acte de désobéissance. Ce n'est pas par doute à Ton égard, ni par
ignorance de l'exemplarité de Ta punition, ni par défi à Ton Châtiment, que je
T'ai désobéi, mais par un caprice de mon âme conjugué avec le voile par lequel
Tu couvres mes méfaits! Et à présent qui pourrait me soustraire à Ta torture!?
Et à quelle corde je pourrais m'accrocher, si Tu venais à me détacher de la
Tienne!? Quel malheur m'attendrait demain: lorsque je serai présenté devant Toi
et qu'on dira aux gens au livret de péchés allégé: "passez" et à ceux au livret
de péchés chargé: "descendez!" Passerai-je avec les "allégés" ou descendrai-je
avec les "chargés"!? Malheur à moi! Plus je vis plus longtemps, plus mes péchés
augmentent sans que je me repente! N'est-il pas temps que j'ai honte devant mon
Seigneur!?"
»Puis il pleura et récita ces vers:
"Me brûles-Tu au Feu, ô Sommet des espoirs!? Qu'adviendrait-il alors de mon
espoir, et puis de mon amour!?
J'ai commis des actes détestables par désinvolture, et un crime comme le mien
n'est perpétré par aucune autre créature".
»Ensuite il pleura encore et implora:
"Gloire à Toi! On Te désobéit comme si on ne Te voyait pas, alors Tu Te
montres Clément comme si Tu n'étais pas désobéi! Tu recherches l'amitié de Tes
créatures par Ta Bienfaisance, comme si Tu avais besoin d'elles, alors que Tu Te
passes absolument d'elles, o mon Seigneur!?"
»Après quoi, il se prosterna. Je m'approchai alors de lui, relevai sa tête et la
déposai sur mon genou et me mit à pleurer jusqu'à ce que mes larmes aient coulé
sur sa joue.
Là, l'Imam (Psl) redressa son buste et s'assit en me demandant: "Qui est celui qui a interrompu mes invocations d'Allah?". "Je suis Tâwûs, ô fils du Messager d'Allah. Pourquoi toute cette angoisse et toute cette crainte!? C'est à nous de faire ce que tu fais, parce que nous sommes pécheurs et désobéissants, alors que toi, tu as pour père al-Hussain Ibn 'Ali, pour mère Fâtimah al-Zahrâ' et pour grand-père le Messager d'Allah", lui dis-je.
L'Imam me répliqua:
"Jamais! Jamais! Ô Tâwûs! Ne me parle pas de mon père, de ma mère et de
mon grand-père. Allah a créé le Paradis et l'a destiné à quiconque Lui obéit,
serait-il un esclave abyssin, et Il a créé l'Enfer en le destinant à quiconque
lui désobéit, serait-il un Noble (Sayyid) de Quraych. N'as-tu pas entendu cette
Parole d'Allah: Quand on soufflera dans la trompette,
ce Jour-là, il ne sera plus question, pour eux, de généalogies et ils ne
s'interrogent plus (sourate 23, verset 101). Par Allah, demain
rien ne te sera utile, si ce n'est une bonne action que tu auras accomplie"» (45)
Les invocations (do'â') et les entretiens intimes (munâjât) attribués aux Imams d'Ahl-ul-Bayt
(P), et notamment les quinze célèbres munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn
(al-Sajjâd), cités par al-Majlicî dans "Bihâr al-Anwâr" sont riches en ce genre
d'images vivantes et mouvantes qui expriment le plaisir et le désir.
Citons, avant de conclure ce chapitre, quelques-unes de ces images très
évocatrices qui constituent le domaine quasi exclusif des Imams d'Ahl-ul-Bayt et
un trésor unique en son genre:
«Seigneur! Qui donc ayant goûté aux délices de Ton Amour pourrait désirer un
autre que Toi!?
Qui donc ayant joui du plaisir de Ta Proximité chercherait un autre que Toi!?
Ô Mon Dieu! Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as élus pour Ta Proximité
et pour Ton Amitié, que Tu as fait se réserver à Ton amour et à Ton affection,
que Tu as fait désirer Ta rencontre et agréer Ta Volonté, et à qui Tu as permis
de regarder Ta Face, que Tu as favorisés par Ta Satisfaction et mis à l'abri de
Ton abandon et de Ta haine, à qui Tu as préparé la place de Vérité à Tes côtés,
que Tu as réservés pour Ta connaissance, que Tu as qualifiés pour Ton adoration,
dont Tu as rendu le cœur passionné de Ta Volonté, que Tu as fait aimer et
inspirer Ton invocation, que Tu as amenés à être reconnaissants envers Toi et
occupés à Ton adoration, que Tu as rendus de bons serviteurs parmi Tes
créatures, que Tu as choisis pour s'adonner aux entretiens intimes (munâjât)
avec Toi, dont Tu as coupé toutes attaches qui pourraient les éloigner de Toi.
Ô Seigneur!
Fais que nous soyons au nombre de ceux qui ont l'habitude de trouver
l'apaisement auprès de Toi et s'attendrir pour Toi, qui passent leur vie en
soupirs et gémissements, dont les fronts sont prosternés devant Ta Grandeur,
dont les yeux veillent à Ton service, dont les larmes coulent par Ta crainte,
dont les cœurs sont attachés à Ton amour et les viscères arrachées par peur de
Ta Colère.
Ô Toi dont les rayonnements de la Sainteté brillent pour les regards de ceux qui
T'aiment et dont la Lumière désire les cœurs de ceux qui Te connaissent!
Ô Vœu des cœurs des désireux! Ô sommet des espoirs des connaisseurs (d'Allah)!
Je sollicite auprès de Toi Ton amour et l'amour de ceux qui T'aiment, ainsi que
l'amour de toute action qui me conduira à Ta proximité.
Fais que je T'aime plus que tout autre, que mon amour pour Toi soit un guide
vers Ton agrément, que mon désir de Toi soit un rempart contre Ta désobéissance.
Accorde-moi la faveur de (pouvoir) Te regarder. Regarde-moi avec affection et
compassion et ne détourne pas de moi Ton visage» (46)
Dans cette séquence de sa munajât, l'Imam al-Sajjâd demande à Allah trois
faveurs de la plus haute importance.
Il Lui demande tout d'abord de le choisir pour Sa Proximité, de dépouiller son
cœur de toute affection en dehors de son amour pour Lui, de lui permettre de
regarder Sa Face, de lui inspirer Son invocation, de couper toutes ses attaches
susceptibles de l'éloigner de Lui etc.
Ce début est nécessaire pour la réalisation de la demande que l'Imam formule à
l'adresse du Seigneur, à savoir le mouvement vers la Proximité d'Allah, car il
est indispensable que le serviteur demande au Créateur de lui accorder les
moyens de ce mouvement ou les clés qui ouvrent le passage vers Lui.
En effet lorsqu'Allah accorde à un serviteur une faveur, Il lui donne le moyen
d'y accéder.
Or les portes par lesquelles l'homme entre pour partir au sommet de
la rencontre avec le Seigneur et pour pouvoir regarder Sa Face sont:
1- Le dépouillement du cœur de toute passion et de tout amour de la vie
d'ici-bas, de toute préoccupation d'ordre mondain ou terrestre, et de tout
attachement à ce monde, et c'est ce que les ulémas appellent le vidage
(takhliyah), ou le fait de vider le cœur de tout souci et de tout attachement
relatifs à quelque chose d'autre que Lui.
La meilleure illustration en est ce
passage des munâjât précités de l'Imam al-Sajjâd:
«Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as fait se réserver à Ton amour et à
Ton affection.
Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as fait ne regarder que Toi et dont
Tu as dépouillé le cœur (de tout amour qui ne soit pas) pour Toi.
Fais que nous soyons au nombre de ceux dont Tu as coupé toutes attaches qui
pourraient les éloigner de Toi».
2- Le deuxième point dans ce début est selon le jargon des scolastiques, le
(tahliyah), c'est-à-dire l'octroi de tout ce qui est positif,
par opposition au premier point dit (takhliyah) - le dépouillement de tout ce
qui est négatif .
En effet, ici, l'Imam (Psl) demande à Allah de lui accorder les faveurs suivantes:
«Donne-nous d'être parmi ceux que Tu as fait agréer Ta Volonté, à qui Tu as
accordé Ta Satisfaction, que Tu as réservés pour Ta connaissance, que Tu as
qualifiés pour Ton adoration, que Tu as fait désirer ce que Tu possèdes, à qui
Tu as inspiré Ton invocation, que Tu as amenés à être reconnaissants envers Toi
et occupés à Ton culte, que Tu as rendus de bons serviteurs parmi Tes créatures,
que Tu as choisis pour s'adonner aux entretiens intimes (munâjât) avec Toi. Et
fais que nous soyons au nombre de ceux dont les fronts sont prosternés devant Ta
Grandeur, dont les yeux veillent à Ton service, dont les larmes coulent par Ta
crainte, dont les cœurs sont attachés à Ton amour et les viscères arrachées par
peur de Ta Colère».
Donc ce début, par ses deux points, constitue la clé du mouvement vers Allah et
le point de départ de l'homme vers la réalisation de son but suprême, la
rencontre d'Allah.
La deuxième demande découle de la première et constitue l'étape intermédiaire du
mouvement montant vers Allah, étape sans laquelle l'homme ne saurait se mouvoir
vers Lui ni parvenir à Sa Proximité «dans un séjour de Vérité, auprès d'un Roi
Tout-Puissant» (47)
Le vaisseau qui transporte l'homme vers ce but que tout véridique, tout
Prophète, tout serviteur pieux et tout martyr désirent ardemment atteindre, est
l'amour et le désir d'Allah et le plaisir de se sentir près de Lui, amour désir
et plaisir sans lesquels le serviteur ne pourra espérer atteindre à cette place
sublime près de Lui. Or cet amour et ce désir d'Allah et ce sentiment de plaisir
que l'homme éprouve auprès de Lui sont des dons d'Allah: Il les accorde à ceux
qu'Il élit et choisit parmi Ses créatures.
Aussi l'Imam al-Sajjâd (Psl) insiste-t-il sur cette demande et implore-t-il Allah
par différents moyens d'expression d'y accéder, notamment en Lui lançant cet
appel pathétique et en s'adressant à Lui par ce merveilleux vocatif: «Ô Vœu des
cœurs des désireux! Ô Sommet des espoirs des aimants!», pour Le supplier de le
faire L'aimer, de le faire aimer tous ceux qui L'aiment et de le faire aimer
toute action susceptible de le rapprocher de Sa Proximité.»
D'autres images du désir et du plaisir dans les Do'â' de l'Imam al-Sajjâd (Psl):
«Mon Dieu! Je Te demande donc (de nous indiquer) les sentiers qui conduisent à
Toi, de nous faire emprunter le plus court chemin qui mène vers Toi; écourte
pour nous la distance, facilite pour nous l'ardu et le difficile, fais-nous
rejoindre ceux de Tes serviteurs qui accourent promptement vers Toi, qui
frappent continuellement à Ta Porte, qui accomplissent jours et nuits Ton culte,
en tremblant devant Ta Majesté, ceux pour qui Tu as purifié les sources, comblé
les désirs, satisfait les demandes, assouvi, par Ta Grâce, les besoins, ceux
dont Tu as rempli les cœurs de Ton amour, ceux que Tu as désaltérés de Ta
boisson pure, et qui grâce à Toi ont accédé au plaisir de Tes munâjat
(entretiens intimes), et de Toi ont obtenu l'accession au sommet de leur buts
recherchés.
Ô Toi qui viens à la rencontre de ceux qui se dirigent vers Toi, et qui reviens
sans cesse vers eux pour leur prodiguer Tes faveurs; Ô Toi qui Te montres
Clément et Compatissant envers ceux qui négligent de T'invoquer, et qui les
attires vers Ta porte avec affection et amabilité! Je Te demande de me réserver
le plus grand lot des faveurs que Tu leur accordes, la plus haute position
auprès de Toi que Tu leur destines, la plus grande part de Ton amour (que Tu
leur montres), et la plus grande partie de Ta connaissance (que tu leur
autorises).
Car c'est sur Toi seul que s'est concentrée ma pensée, c'est vers Toi seul que
s'est dirigé mon désir, c'est Toi seul, et personne d'autre, que je veux et
c'est pour Toi seul à l'exclusion de tout autre que je veille et je ne dors pas.
Ta rencontre est ma consolation, Ton contact vaut mon âme. C'est Toi qui me
manques, Ton amour est ma passion et mon ardente affection, Ta satisfaction est
tout ce que je recherche, Te voir est mon besoin, être à Ta proximité est
l'objet de ma sollicitude, et être à Tes côtés est tout ce que je demande.
J'éprouve le repos et l'apaisement dans mes entretiens intimes avec Toi, et en
Toi je trouve le remède de mon malaise, l'apaisement de ma soif ardente et la
délivrance de mon adversité. Sois donc mon compagnon dans ma solitude, Celui qui
me relève lorsque je trébuche, Celui qui me pardonne lorsque je commets une
faute, Celui qui accepte ma repentance, Celui qui répond à mon appel, Celui qui
se charge de ma protection, et Celui qui supplée à mon indigence. Ne coupe pas
mes liens avec Toi ni ne m'éloigne de Toi, ô mes délices et mon paradis, ô Toi
qui représentes tout pour moi dans ma vie présente et dans ma Vie future» (48)
Cet auguste extrait d'entretien intime constitue un morceau d'anthologie dans la
littérature de munâjât et de do'â'. Il brosse un portrait très expressif de
l'adresse des Imams d'Ahl-ul-Bayt au Créateur et de la profondeur de leurs
sentiments d'amour envers Lui. Il est, en tout cas, superflu de commenter ce
munâjât riche en expressions, en images et en figures, car son éloquence se
passe de commentaire. Nous nous contentons toutefois de passer en revue
rapidement certaines images et idées de l'amour divin qu'il recèle.
Au début, l'Imam al-Sajjâd demande à Allah de lui tendre la main pour le
conduire vers Lui-Même. Tel est en fait l'essentiel et le plus important de sa
requête.
Remarquons tout d'abord que dans ce do'â', l'Imam al-Sajjâd ne sollicite aucune
faveur, aucun avantage, aucun bienfait dans ce monde ni dans l'Au-delà, bien
qu'une telle sollicitation soit tout à fait légitime et aimée d'Allah. Il
demande seulement la proximité d'Allah et une place auprès de Lui à côté des
véridiques, des martyrs et des Prophètes.
Notons ensuite qu'il dit: «Mon Dieu! Je Te demande donc (de nous indiquer) les
sentiers qui conduisent à Toi» (au pluriel) et non "le sentier" (au singulier).
Pourquoi? On sait que le Chemin (al-Çirât) conduisant à Sa Majesté est unique,
et non multiple, puisque le saint Coran n'en mentionne qu'un partout où il est
question de çirât:
«Guide-nous dans le droit Chemin, le Chemin de ceux que Tu as comblés de
faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta Colère, ni des égarés» (49)
«Allah guide qui Il veut vers le droit Chemin» (50)
«Et Il les guide vers le droit Chemin» (51)
«Nous les avons choisis et guidés vers le droit Chemin» (52)
En revanche, le mot sentier (sabîl) est mentionné au pluriel de nombreuses fois,
aussi bien lorsqu'il s'agit de bons sentiers que les mauvais sentiers:
«Allah guide aux chemins du salut ceux qui cherchent son agrément» (53)
«Et ne suivez pas les sentiers qui vous écartent de Sa voie» (54)
«Et suivez les sentiers de votre Seigneur, rendus faciles pour vous» (55)
«Et qu'aurions-nous donc à ne pas placer notre confiance en Allah, alors qu'Il
nous a guidés sur les sentiers» (56)
«Et quant à ceux qui luttent pour notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos
sentiers. Allah est en vérité avec les bienfaisants» (57)
En effets, Allah a laissé aux gens la possibilité d'emprunter une multitude de
moyens, voies ou sentiers pour parvenir à Lui. Selon une opinion admise par les
ulémas: les voies menant à Allah sont aussi nombreuses que les souffles des
créatures.
Certes toutes ces voies courent (se trouvent) sur le Chemin droit d'Allah, mais
le Créateur a permis à chaque serviteur de Le connaître et de se diriger vers
Lui par un moyen différent. Ainsi, il y a des gens qui s'orientent vers Allah
par la Science et l'intellect ('aql), d'autres par le cœur et le for intérieur,
d'autres encore en commerçant et en traitant directement avec Lui. Ceci dit, il
est indéniable que le meilleur moyen de connaître Allah est l'échange ou le
"commerce" direct avec Lui. En effet Allah dit:
«Ô vous les croyants! Vous indiquerai-Je un marché qui vous sauvera d'un
châtiment douloureux?» (58)
Et
«Il en est un, parmi les gens, qui s'est vendu lui-même pour plaire à Allah.
Allah est bon envers Ses serviteurs» (59)
Donc lorsque l'Imam al-Sajjâd demande à Allah de l'amener vers les voies, et non
une voie, qui conduisent à Lui, il cherche à s'assurer qu'il parviendra à la
bonne porte, car plus les moyens qui conduisent à Allah sont nombreux, plus on a
la chance d'arriver à Sa proximité et à Ses côtés.
Puis l'Imam al-Sajjâd implore le Miséricordieux de le faire se joindre à Ses
serviteurs pieux qui étaient prompts et les premiers à Lui obéir, qui passaient
le jour et la nuit à accomplir le culte, qui ont traversé la voie avec
détermination et sincérité et qui sont tombés en martyrs, chemin faisant.
Car il sait que parvenir à cette haute position sublime auprès du Très-Haut
requiert le déploiement de grands efforts et la traversée d'une longue route
difficile. Aussi supplie-t-il Allah de lui raccourcir la distance et de lui
aplanir les difficultés de ce long périple en le joignant aux serviteurs pieux
(lui, qui est pourtant, l'Imam et le guide des serviteurs pieux) qui l'y ont
précédé, sachant que la compagnie de serviteurs dévoués sur une route difficile
est à même de renforcer la détermination des membres de la caravane de
poursuivre ce voyage éprouvant:
«Fais-nous emprunter le plus court chemin qui mène vers Toi; écourte pour nous
la distance, facilite pour nous l'ardu et le difficile, fais-nous rejoindre ceux
de Tes serviteurs qui accourent promptement vers Toi, qui frappent
continuellement à Ta Porte, et qui accomplissent jours et nuits Ton culte».
35.Sourate al-Hadîd, 57: 4.
36.Sourate Qâf, 50: 16.
37.Sourate al-Baqarah, 2: 186.
38.Do'â' al-Iftitâh.
39."Munâjât No 11", des 15 Munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit
d'al-'Allâmah al-Majlicî. Dans "Bihâr al-Anwâr".
40.Sourate al-Hadîd, 57: 4.
41.Sourate al-Ra'ad, 13: 28.
42."Mafâtih al-Jinân", Do'â' al-Iftitâh.
43."Bihâr al-Anwâr", 46/77-78.
44."Bihâr al-Anwâr", 46/77-78.
45."Bihâr al-Anwâr", 46/81-82.
46.Munâjât No 9, des 15 munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit
d'al-'Allâmah al-Majlicî. Dans Bihâr al-Anwâr.
47.Sourate al-Qamar (La Lune), 54: 55.
48.Munâjât No 8, des 15 munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn, d'après le récit
d'al-'Allâmah al-Majlicî. Dans "Bihâr al-Anwâr".
49.Sourate al-Hamd, 1: 6-7.
50.Sourate al-Baqarah, 2: 213.
51.Sourate al-Mâ'idah, 5: 16.
52.Sourate al-An'âm, 6: 87.
53.Sourate al-Mâ'idah, 5: 16.
54.Sourate al-An'âm, 6: 153.
55.Sourate al-Nahl, 16: 69.
56.Sourate Ibrâhîm, 14: 12.
57.Sourate al-'Ankabout, 29: 69.
58.Sourate al-Çaff, 61: 10.
59.Sourate al-Baqarah, 2: 207.